Divina Frau-Meigs de l’Université de la Sorbonne Nouvelle et membre du consortium, et Matthieu Cissel, doctorant spécialisé dans les MOOCs, ont été interviewés cet été par l’UNED-Radio sur la valeur ajoutée des MOOCs dans le paysage de l’apprentissage numérique.
Nous voici en discussion avec Divina Frau-Meigs, Professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle, l’un des partenaires de ce projet européen, et avec Matthieu Cisel, doctorant à l’École Normale Supérieure de Cachan, en France.
QUESTION : Matthieu, à votre avis, quelle est la valeur ajoutée des MOOCs par rapport aux cours traditionnels ?
MATTHIEU : “Tout d’abord, ils sont ouverts et permettent à une grand panel de personnes, avec des centres d’intérêts différents, de participer. Des gens qui peut-être ne peuvent pas étudier car ils ne disposent pas des ressources financières ou du temps nécessaires. Le format du cours ouvert, accessible à tout moment, tel que celui du MOOC leur permet de dépasser ces obstacles et de suivre un cours, n’importe où et à tout moment. Voilà pour moi la valeur ajoutée.”
QUESTION : Et pour vous, Professeur Frau-Meigs, quelle est à votre avis la valeur ajoutée des MOOCs par rapport aux cours traditionnels ?
DIVINA : “Et bien, pour compléter la réponse de Matthieu, je pense que les implications des réseaux sociaux dans le fonctionnement d’un MOOC renforcent la valeur de l’apprentissage en ligne ou à distance. C’est un facteur novateur du MOOC qui permet aux enseignants de contrôler les sujets et d’utiliser des ressources différentes de celles généralement employées dans la sphère de l’apprentissage traditionnel, en y ajoutant une dimension de partage. Et comme je le dis souvent : “un MOOC sans réseaux sociaux est comme un oiseau sans ailes”.
QUESTION : Ce qu’il faut bien noter c’est que la proposition d’ECO est totalement nouvelle : on a ici des réseaux qui rejoignent un cours en ligne ouvert, massif et gratuit. Comment voyez-vous la situation des MOOCs, en France en particulier, et en Europe en général ?
MATTHIEU : “Il y a déjà plusieurs pays d’Europe qui créent leurs propres MOOCs, mais en France il en existe encore moins de 100 à l’heure actuelle. Il y a par exemple un nombre beaucoup plus important de MOOCs disponibles en Espagne. Je crois que la raison est principalement culturelle. Il nous faut encore en apprendre d’avantage quant à l’enseignement à distance et la culture qui en découle : cela va donc nous prendre un certain temps pour apprendre la pédagogie, comment réaliser des vidéos et tout le reste.”
QUESTION : L’UNED conduit le projet européen ECO, un projet qui se concentre sur l’analyse et la conception des MOOCs. Il y a 24 partenaires venant de différents pays, universités, entreprises et autres institutions, certains d’entre eux sont expérimentés dans l’enseignement à distance, et d’autres vont avoir leur premier contact avec ce type de cours. Les universités optent de plus en plus pour l’enseignement à distance et, en particulier, la conception de MOOCs.
Divina, comment voyez-vous la situation des MOOCs en France en particulier, et en Europe en général ?
DIVINA : “Il est vrai que d’un point de vue international les MOOCs sont à un stade précoce en France. Certains collègues appellent cela “l’effet de diligence”. Nous vivons à une époque où nous devons promouvoir la transition des cours traditionnels vers les cours modernes. Il n’y a pas encore un modèle de MOOC français. Et je pense que chaque pays va créer son propre modèle, ce qui est un signe de diversité culturelle. Je crois que c’est une bonne chose. Mais le modèle de transmission est encore profondément enraciné en France car c’est un pays très centralisé. Pour le moment, le modèle du MOOC français considère cette nouvelle initiative de MOOC comme une phase d’apprentissage, avec un effet de vague profondément retentissant dans la communauté universitaire.”
QUESTION : D’autres pays d’Europe partagent-ils ce point de vue ? Ou bien pouvons-nous identifier des points de vue différents sur l’utilisation des MOOCs? C’est une initiative nouvelle, mais de nombreux pays s’orientent vers ce type d’enseignement.
DIVINA : “Je vois cela comme une opportunité pour tous les pays de faire avancer leurs universités vers les possibilités du 21ème siècle, vous ne croyez pas ? De plus, je pense que la manière dont l’Union européenne saisit ces possibilités est aussi diverse que l’est son patrimoine culturel et linguistique commun. En outre, je crois que les petits pays seront en mesure d’adopter le MOOC, son enseignement et son apprentissage plus facilement que les grands pays, comme la France, qui sont plus lents dans leur réponse aux changements nécessaires. Mais il y a un réel intérêt et peu à peu les autorités décisionnelles assimilent le thème de l’apprentissage numérique et à distance.”
QUESTION : Matthieu, quel type de résistance contre les MOOCs avez-vous rencontré ?
MATTHIEU : “Tout d’abord, beaucoup d’enseignants craignent de perdre leur emploi avec ce nouveau modèle. Je ne crois pas que cela les affectera, mais la peur et donc la résistance sont palpables. Il faut dire que cela oblige l’enseignant à faire des ajustements drastiques. Pour réaliser des MOOCs vous devez être flexible, rapide et très efficace. C’est une culture très différente, cela nécessite de travailler en groupe, tout ceci est très nouveau… La plus grande résistance concerne le fait que les MOOCs exigent une nouvelle façon de travailler, une nouvelle organisation…c’est selon moi la plus grande résistance.”
QUESTION : Et pour vous, Divina Frau-Meigs…
DIVINA : “Ce que je voudrais ajouter à ce que Matthieu vient d’indiquer, c’est le facteur de la propriété intellectuelle. Le fait que, pour les enseignants qui créent des MOOCs, ils n’aient aucune certitude sur ce qui va arriver au matériel qu’ils ont créé. Ils pensent que d’autres vont s’emparer de leurs savoirs et compétences. Il y a de ce fait une forte résistance à l’égard de cela en France, pays qui a été le fleuron de la propriété intellectuelle. Avec les MOOCs, nous avançons l’idée d’une exception à la propriété intellectuelle dans le domaine éducation, avec un droit au remodelage et une utilisation des licences Creative Commons, car il existe bien des solutions. Mais la France ne croit pas vraiment en ces solutions et il y a une résistance au sein même des Ministères (ceux de la Culture, de l’Éducation aux Médias et de l’Éducation) en général. Donc, en quelque sorte, nous savons comment créer des MOOCs mais répandre le modèle et l’adopter est une toute autre question que nous devons aborder séparément.”
QUESTION : Et quel est l’avenir des MOOCs, selon vous, Matthieu ?
MATTHIEU : “Je ne suis pas encore sûr. J’espère que nous allons créer un système ECO viable en France. L’obstacle ici est que nous manquons pour l’instant d’un modèle économique réalisable et stable quant aux modules MOOCs afin de leur offrir une certaine longévité.”
QUESTION : En fait, ce sujet-ci est soulevé par le consortium d’apprentissage ECO. Intégrer les MOOCs dans un contexte économique futur stable est l’un des objectifs du projet ECO, sinon, l’un des engagements les plus forts pour lequel la Commission européenne demande à l’ensemble des membres du projet de fournir une réponse définitive.
Divina, quel est l’avenir des MOOCs à votre avis?
DIVINA : “Je pense que les MOOCs eux-mêmes vont évoluer et seront davantage intégrés dans l’éducation. À mon avis, il y a un avenir clair pour les MOOCs dans l’apprentissage tout au long de la vie.”
“Cela va être difficile, du point de vue de l’enseignement primaire, mais peut-être que nous finirons par y arriver. Voici ce que je dis aux enseignants qui ont peur : “Cela va enlever un poids de vos esprits, c’est la prochaine étape. Vos possibilités d’enseignement, de partage et de construction du savoir vont s’élargir et vous n’avez rien à craindre.” Mais c’est un changement très important dans les esprits et ce sera difficile compte tenu du fait que les enseignants appartenant à la génération des enseignants traditionnels sont nombreux. Cela sera plus facile pour la génération d’enseignants suivante qui sont, eux, plus habitués au monde numérique. Les compétences numériques sont nouvelles et certains enseignants doivent encore les acquérir.”
“Jusqu’ici la réponse des enseignants est toutefois prometteuse. Après l’envoi d’un appel à propositions pour la création de MOOCs, nous avons reçu plus de 50 propositions. Je pense que certains enseignants profiteront de cette opportunité, et que d’autres emprunteront cette voie lorsqu’ils y verront une perspective d’avenir plus claire.”